Nous sommes en Afrique
La grande ironie, c’est que j’écris ce post alors que je ne suis plus en Afrique. Depuis bientôt un mois. Mais je n’allais pas y renoncer pour autant. Ca faisait trop de temps qu’il me trottait dans la tête. Mes dernières semaines en Côte d’Ivoire, je me suis souvent entendu répondre: « vous savez, nous sommes en Afrique ». Un truc bizarre se passe, vous ne savez trop comment l’expliquer, les Ivoiriens ne s’emmerdent pas et le plus tranquillement du monde vous disent : « vous savez, nous sommes en Afrique ». Alors dans quelles situations peut on s’entendre dire « nous sommes en Afrique » ? Voici quelques exemples. Le chien du voisin (Tommy dont je vous avais parlé dans un post précédent) meurt, dans des conditions assez moches, le seul vétérinaire de Man est impuissant et s’en fiche d’ailleurs pas mal. L’explication des gardiens et du chauffeur est la suivante : « nous sommes en Afrique ». Sous entendu, c’est un sacrifice, le chien a été sacrifié par un voisin qui avait besoin à ce moment là de faire une offrande à une puissance occulte dans le but d’obtenir un avantage quelconque, un emploi, un examen, un peu d’argent. Evidemment, la première chose qui me passe par la tête, c’est que le pauvre chien n’a pas éte vacciné mais cette explication ne semble convaincre personne. Plus grave : un chef de centre d’identification décède brutalement à la suite d’une altercation avec des autorités administratives et voilà que réapparait le « nous sommes en Afrique ». Ici, il faut comprendre : les autorités avec lesquelles il s’est disputé lui ont jeté un sort et le pauvre homme en est mort. Je tente une explication plus rationnelle : est ce que le monsieur était cardiaque, malade, fatigué ? Rien de tout cela ne convainc. Mes interlocuteurs parviennent simplement à admettre que les habitants du village l’ont peut-être empoisonné à l’aide d’un produit obtenu à partir du pancreas de crocodile... Autre situation, même explication : deux voitures de la mission, qui viennent de passer par le contrôle technique, tombent en panne et ne peuvent mener à bien leur mission. Là aussi, ce sont les puissances occultes qui sont mises en cause... On peut aussi s’entendre dire le « nous sommes en Afrique » devant une situation qui provoque l’indignation, lorsque les gardiens de certaines insitutions publiques ne sont pas payés pendant plus de huit mois ou lorsque la classe politique commet une des énormités dont elle a le secret. C’est alors avec un air résigné que l’on vous dit « vous savez, nous sommes en Afrique ». Pour vous dire que le « nous sommes en Afrique » intervient pour expliquer ce qui nous apparait comme insensé ou irrationnel. Ou encore intolérable. Vous avez beau esayer de trouver une autre explication, vous indigner, demander des comptes, vous n’obtiendrez que le « nous sommes en Afrique ». On finit par s’y habituer et s’en contenter. Et s’intéresser à toutes les histoires de mauvais sorts, de sorcellerie, masques, cérémonies d’initiation sur lesquelles on tombe. Vraiment fascinant. Ce qui est sûr c’est le « nous sommes en Afrique » va me manquer. Comme beaucoup d’autres choses ou d'expressions d’ailleurs. Le « ça va un peu », « on dit quoi », « je te dis », le « beaucoup peu », le « voilà » si particulier des Ivoiriens. Les enfants sur le chemin de l’école, ravis de vous saluer. La bonne humeur après les engueulades, la plaisanterie facile. La patience. Les leçons de la brousse. Si quelque chose m’apparait maintenant, dans mon étape « out of Africa », comme évident, c’est le besoin de retourner en Afrique, en Côte d’Ivoire en particulier.