Soirée bonne!
Je préfère vous le dire tout de suite, les dromadaires n’ont rien à voir avec le thème de ce post mais je les trouve tellement sympathiques que je ne résiste pas à la tentation les utiliser en guise d’illustration. Non, le thème de ce post n’est pas le dromadaire mais le parler local. Comme vous le savez, les commentaires sur le parler local sont un must de pinche pais. Et à Koukou, l’inspiration sur le sujet ne manque pas, l’arabe produisant un effet des plus intéressants sur le Français tchadien. Prenez le « soirée bonne » par exemple. Au début de mon séjour, quand je me suis entendue répondre « soirée bonne » à mon « bonne soirée » durant mes promenades de fin d’après-midi dans le village, j’ai trouvé ça très bizarre. Je me suis demandé si j’avais bien compris. Après un bref moment de réflexion, j’ai pensé à une explication qui m’est immédiatement apparue comme plausible et qui me semble encore tenir la route. En arabe, quand on vous dit « Salam aleikum », vous répondez « aleikum Salam ». Ben, là, c’est pareil avec le « soirée bonne », faut répondre à l’envers. On vous dit « bonne soirée », vous répondez « soirée bonne », et voilà le tour est joué, vous avez une expression de Français tchadien on ne peut plus authentique ! L’arabe est très présent dans le Français tchadien et avec lui les salamalecs, mais ces derniers méritent un post à eux tous seuls, qui ne tardera pas à venir. Autre caractéristique locale, au Tchad, Dieu est appelé à la rescousse pour presque tout, même les choses les plus insignifiantes, et loué quand quelque chose se passe bien. Ça donne à peu près ca : « on se voit demain à la réunion, inch allah » ou « inch allah le véhicule pourra être réparé ». Quand quelque chose a réussi ou s’est bien déroulé, c’est grâce à Dieu, cela va sans dire mais cela va mieux en le disant, donc vous pouvez dire : « tout s’est bien passé, hamdulillah » ou encore « toute la famille va bien, hamdulillah ». Ainsi, les effets de l’arabe sur le Français tchadien sont assez rapidement identifiables, mais il y a certaines expressions dont l’origine m’apparait encore incertaine. Prenez le « je t’arrive » que j’adore. Au lieu de dire, « j’arrive », les Tchadiens disent « je t’arrive ». Incroyable comme l’ajout d’un simple pronom peut avoir un effet puissant sur une expression. Le « je t’arrive » est autrement plus expressif que le « j’arrive » et son effet autrement plus immédiat. Un collègue m’appelle souvent sur mon extension de téléphone avant de venir dans mon bureau. Hé bien, quand il me dit « je t’arrive », je peux être sure qu’il va frapper à ma porte dans la minute qui suit ! Le matin, quand ils vous saluent, les Tchadiens vous demandent souvent si vous êtes bien réveillés. A 8 heures du matin, c’est logique, mais passé les 10 heures, c’est plus original! Les adverbes de quantité sont utilisés bizarrement au Tchad, un peu comme en Côte d’Ivoire. Au lieu de vous dire « il n’y a pas de problème », on vous dira « il n’y a pas assez de problèmes ». Ça surprend au début, vous pensez : il y a des problèmes mais pas en grande quantité, donc vous voulez savoir de quels problèmes il s’agit (vous me suivez toujours?), puis avec un peu d’expérience, vous avez compris qu’on voulait vous dire qu’il n’y avait pas de problème, encore qu’au Tchad les problèmes ne sont jamais bien loin. Pour dire que quelque chose est disponible en petite quantité, on commencera la phrase par : « si c’est trop, il y en a deux ou trois ». Quand vous donnez un rendez-vous, vous « rendonnez » quelqu’un. Je veux finir cette liste non exhaustive d’expressions tchadiennes avec le « fatigué » que j’aime beaucoup également. C’est un peu mon expression chouchou avec le « je t’arrive ». On utilise le « fatigué » pour expliquer que l’on a fait beaucoup d’efforts pour obtenir quelque chose mais qu’on n’y a pas réussi. Vite un exemple pour vous aider à comprendre : « je t’ai appelé, fatigué ». Traduction : j’ai essayé de t’appeler à plusieurs reprises mais sans parvenir à te joindre. «Nous l’avons cherchée, fatigués » : nous avons cherché cette personne longtemps sans réussir à mettre la main dessus. Pas mal, non, le « fatigué » ? Ca raccourcit les phrases, ça dit beaucoup de choses en un mot et a le mérite, comme le « je t’arrive », d’être très expressif ! Je crois que je me suis laissé convaincre et que je vais commencer à les utiliser en France au risque de provoquer quelques regards interrogateurs!